L'absurdité est inhérente à la règle

On se plaint parfois de voir un fonctionnaire eichmannien agir "par principe", et exiger avec une étroitesse d'esprit tenace le formulaire jaune. Bref, tout être rationnel a souffert un jour d'une règle qu'un géomètre d'Etat tentait d'appliquer dans une situation visiblement absurde, où la règle ne contribuait pas à réaliser l'effet pour lequel elle avait été instaurée. Moyen sans fin, marteau sans maître, fonctionnaire acéphale (dépourvu de tête).

Eh bien, voici un viatique pour soulager les rationalistes : l'absurdité est inhérente à la règle. En effet, si on instaure une règle pour réaliser un état de fait, c'est que le simple énoncé de l'état de fait ne suffit pas. Il ne suffit pas de dire aux gens de conduire prudemment, ou de bien se tenir. Par conséquent, du seul fait qu'on instaure une règle, on la pose en principe et on décide de l'appliquer pour elle-même, espérant que ce principe général aie de bons effets. Il ne s'agit pas que la règle soit efficace dans chaque cas particulier, mais que le fait de la poser soit efficace d'une manière générale.

Finalement, critiquer l'action "par principe", le zèle procédurier du fonctionnaire, c'est critiquer l'idée même de règle.

Pourquoi a-t-il donc fallu instaurer des règles ? Officiellement, parce que les hommes sont des enfants, ils ne savent pas se tenir, ils ont besoin de règles. En réalité, c'est peut-être l'inverse : la règle dénote la faiblesse du dirigeant plutôt que celle du dirigé. Il y aurait encore une troisième explication...

Cette opposition entre la règle et l'absence de règle est l'opposition classique entre le déontologisme (morale du devoir, éthique de conviction) et le conséquentialisme (morale des conséquences, éthique de responsabilité). Dans un cas c'est un principe donné qui fixe l'action à accomplir ; dans l'autre ce sont les conséquences. C'est évidemment le conséquentialisme qui a raison, car les règles ne sont jamais instaurées qu'en vue des conséquences qu'elles amènent.

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