Toute théorie est optimiste

Toute théorie, toute conception du monde, est toujours fondamentalement optimiste.

Car, comme a dit Camus, la question fondamentale est celle du suicide, à laquelle tout le monde répond : plutôt vivre (ceux qui disent le contraire, on ne les entend pas). L'idéologue (prophète, philosophe, écrivain, journaliste) n'échappe pas à la règle. Ainsi la caractéristique fondamentale de toute théorie est son optimisme : elle offre une vision des choses dans laquelle il vaut la peine de vivre.

Le problème, c'est que le monde est plein de souffrance. C'est le problème du mal. Et il ne se pose pas seulement aux discours religieux, mais à tout discours.

Il y a plusieurs solutions à ce problème. Voyez :

On souffre, mais il faut souffrir pour expier (le péché originel), pour être testé (cf. livre de Job) et pour accéder au paradis, donc à la félicité éternelle. Donc il faut vivre et souffrir, il faut endurer le supplice, sur la croix ou sur ce tripalium (instrument de torture) qu'est le travail. Le suicide est interdit. (Christianisme)

On souffre, et la vie est mauvaise. Le but est de s'en libérer, de se libérer du cycle des réincarnations. Mais il ne faut pas se suicider. Le suicide est le meilleur moyen d'être réincarné en ver, et de ne jamais s'échapper de la vie. Pour atteindre le nirvana il faut parvenir au détachement. (Bouddhisme, Schopenhauer)

La souffrance n'est pas nécessaire, mais pour s'en rendre compte il faut la traverser. (Henry Miller)

Bref, à chaque fois, il faut souffrir pour se libérer de la souffrance. Même Nietzsche, qui s'est pris pour l'antéchrist, défend la souffrance :

La souffrance n'accuse pas la vie, c'est la vie qui affirme la souffrance. L'individu dionysiaque, par surabondance de vie et de force, souffre et aime souffrir ; c'est un tragique, il se réjouit du spectacle de la souffrance et du chaos. Sa force l'exige, il est un peu fou. Il cherche des ennemis à sa hauteur. Il détruit pour le plaisir de créer. Douleur et plaisir ne sont d'ailleurs pas du tout des phénomènes opposés, mais plutôt concomitants. (Nietzsche)

Ce qui est amusant, là-dedans, c'est qu'aujourd'hui on se libère de cette souffrance par la technique. Et on peut se demander si elle n'était pas nécessaire.

La souffrance est nécessaire car elle est la condition du plaisir. Car toute chose n'existe que par différence, par contraste. Le mal est la condition du bien. Cette formule vaut au niveau non moral (la douleur est la condition biologique du plaisir) et au niveau moral (la bonté suppose la possibilité de faire le mal). Donc la souffrance est bonne. (Taoïsme)

On a peut-être le choix entre une mer plate - le néant du confort moderne, le désert, tout glisse dans des rouages lubrifiés - et une mer agitée, avec des hauts et des bas, des joies et des peines.

Ce qui fait que, finalement, le monde est bon, souffrance comprise, mais pas pour des raisons morales : pour des raisons logiques. Pas le Dieu chrétien, le Dieu de Spinoza - c'est-à-dire pas de Dieu. Le monde est "parfait" si on tient compte de la logique, si Dieu est en-dessous de la logique ; si la logique peut être remise en cause le monde n'est pas parfait, il pourrait y avoir beaucoup plus de bonheur et beaucoup moins de souffrance.

Mais la logique ne peut pas être remise en cause, évidemment.

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