Le paradoxe du désir

Les paradoxes du désir sont nombreux : est-il manque ou excès de force ? Est-il le signe d'une finitude et d'une impuissance ou au contraire le signe d'une puissance suprême, celle de transformer le monde pour se satisfaire ?

Mais le paradoxe du désir le plus fondamental est celui-ci : celui qui désire désire à la fois l'objet de son désir, et le fait même de désirer. Si je désire une femme ou une friandise, je désire la posséder, mais je désire aussi la désirer ; car on désire toujours ce que l'on fait. Or ces deux désirs sont contradictoires : on ne peut pas avoir à la fois le désir et l'objet du désir, car la satisfaction met fin au désir.

Cette structure se retrouve dans la conscience, qui est à la fois conscience d'objet et conscience d'elle-même : en ayant conscience d'un arbre j'ai aussi conscience d'en avoir conscience.

Ce double désir peut s'interpréter ainsi : le désir de satisfaction est désir de plénitude, de repos, d'immobilité, d'éternité, donc de mort ; alors que le désir de désirer est désir de vie, désir de mouvement, de devenir, d'action ; c'est aussi un désir d'éternité (désirer éternellement), ou plutôt de sempiternité. Pas hors du temps, mais dedans pour toujours. Eros et Thanatos, pulsion de vie et pulsion de mort. Ambivalence fondamentale. Il y a en nous un désir de vivre, de se dresser, et un désir de mourir, de se reposer. Debout ou allongé.

Ce paradoxe peut être résolu de plusieurs manières. La religion chrétienne, qui nous fait désirer un idéal inaccessible (Dieu), résout le paradoxe : car si on est sûr de ne jamais atteindre l'objet, le problème est résolu et on peut désirer toute sa vie. La religion chrétienne (comme toute théorie) est une structure existentielle qui permet de vivre, de désirer.

En revanche, on peut rester empêtré toute sa vie dans ce problème, pris dans l'illusion de la satisfaction : on croit pouvoir être satisfait, mais on ne l'est jamais car on désire désirer. Et quand on désire, on est insatisfait car on croit vouloir l'objet. Alors on erre, oscillant entre le désir et l'ennui, comme dirait Schopenhauer.

Cette contradiction est insurmontable.

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